Jurisprudence
Les marabouts sont-ils des escrocs ? On aime tant leurs flyers que, à cette question, on aimerait répondre "non". La justice, elle, répond "oui", en condamnant un marabout à des amendes, dommages-intérêts et peine de prison, pour publicité mensongère. Ne généralisons pas trop hâtivement : ce jugement de la Cour d'Appel de Pau (03/04/2008) ne porte que sur un marabout. Mais comme vous allez le découvrir ci-dessous, sa publicité est tellement typique de toute la littérature maraboutique qu'on ne peut s'empêcher de penser que beaucoup de ses confrères se retrouveraient en prison si seulement quelques uns de leurs clients portaient plainte.
Les faits
Mme G., "en grande détresse morale" suite à différents "déboires familiaux (liaison, divorce, perte d'emploi)", contacte "un médium, dont elle avait relevé l'annonce publicitaire dans [un] magazine". Voici le texte de l'annonce en question (qui paraîtra très familier à tout magopinaciophile, même débutant) :
'M. D. J K MÉDIUM
connu dans le monde entier. Don hérité de père en fils. Cas urgent, la rapidité et l'efficacité sont la base de son travail. Cas difficile ou compliqué, n'hésitez pas. Retour d'affection, désenvoûtement, maladie, sexualité. D'autres cas spéciaux dans la discrétion. Amour et tendresse entre homme et femme. Impuissance, clientèle, jeux. Si vous voulez vous faire aimer ou si votre partenaire est parti(e) avec quelqu'un d'autre, c'est son domaine, il (elle)cour derrière vous comme un petit chien derrière son maître?!etc. Résultat en moyenne 5 jours. Date précise, 100 % garantie. Travail par correspondance et reçoit tous les jours de 8 heures à 20 heures."
Très familier, n'est-ce pas ?
Que se passe-t-il ensuite ? L'histoire se déroule en 2001 (la condamnation date de 2008). La plaignante rencontre le marabout. Il lui demande 200F, puis au second rendez-vous, 7000F, "afin que son père puisse prier pour elle dans la forêt noire en Afrique. Cette opération devait, disait-il, suffire pour le travail, et l'être aimé allait revenir. Devant ces promesses, elle s'exécutait, et lui remettait deux chèques de 3500 francs chacun. Il avait ensuite entamé des incantations en bougeant un chapelet."
Prise de remords, la cliente fait opposition à ses chèques, ce qui, d'après le marabout, rend les esprits furieux : "l'argent était pour eux et non pour lui". LOL. Ces purs esprits ont des inclinations bien matérielles pour des êtres surnaturels.
"Pour obtenir ces versements, le Marabout lui exposait que son père devait faire des sacrifices d'animaux, récupérer 7 queues de caïman, toutes ces opérations nécessitant de l'argent. Il ajoutait qu'il souhaitait qu'elle soit heureuse, mais que les esprits avaient besoin d'argent."
"Diverses manipulations magiques étaient proposées par le marabout : elle devait porter un papier dans son soutien-gorge, dire plusieurs fois son prénom et celui de son amant, manipuler devant lui un bout de pâte à modeler avant de le jeter dans la mer ou bien dans une rivière, ou encore tenir un objet brûlant dans ses mains, ou s'oindre matin et soir d'un 'médicament' pendant 7 jours."
À ce stade, on se doute un peu de ce qui est en train de se passer : le marabout prescrit des rituels tellement sophistiqués qu'il n'y a aucune chance que sa cliente les réalise intégralement et sans faute. Nous en reparlerons plus tard...
"Toutes ses opérations étaient prescrites au gré de 'consultations' qui duraient plusieurs mois, et au cours desquelles elle lui remettait des sommes d'argent importantes, notamment 42000 F le 2 novembre 2001, 24000 le 6 novembre 2001, cette dernière somme étant destinée à l'achat des 7 queues de caïman. Le 27 novembre 2001, elle lui remettait encore 10000 francs, destinés à financer un voyage en Afrique, pour récupérer un nouveau médicament, dont elle devait à nouveau s'enduire rituellement à des heures et selon des modalités précises. Enfin, elle lui remettait encore une somme de 1500 F le 21 décembre 2001, et deux chèques de 2500 F chacun, qu'il encaissait les 6 décembre et 20 décembre 2001. Elle ajoutait que lors de la remise de la somme de 42000 F, il avait refusé de lui donner un reçu, prétextant qu'il s'agissait d'une question de confiance entre eux."
Là encore, on voit très bien ce qui est en train de se passer : La client se fait allègrement plumer.
"À chaque remise, il lui promettait que son problème serait réglé prochainement, et que son ami allait l'appeler ou revenir. Comme le miracle ne se produisait pas"
Vraiment ? Quelle surprise...
... "il lui demandait une carte SFR pour appeler son père. À partir du mois de janvier 2002, devant l'absence de résultat de ses investissements, elle lui demandait de rembourser une partie de l'argent versé, ce qu'il refusait, prétendant n'avoir rien reçu, avant de refuser de la recevoir à nouveau. Devant son insistance, il promettait tour à tour de recommencer à travailler, ou se plaignait de la souffrance qu'elle lui infligeait, la menaçait de mourir ou de tous les malheurs, voire la traitait de folle en lui disant d'aller se faire soigner à l'hôpital."
Pourquoi aller se faire soigner à l'hôpital quand on a devant soi un marabout qui fait des miracles garantis en 5 jours ? Je vous le demande.
"Mme A estimait son préjudice à 150500 francs au minimum."
Ouch... Bien, à partir de là, le marabout (déjà fiché) est placé en garde à vue.
"Il se reconnaissait l'auteur de la publicité dans le magazine 40, mentionnant 100 % de résultat, dans les cinq jours, mais il admettait que 'parfois cela marchait, et parfois non', ajoutant que 'c'était la vie'. Il disait indiquer à ses clients que le travail pouvait durer plus longtemps que les cinq jours annoncés, la consultation ayant un prix fixe de 200 francs, auxquels pouvait s'ajouter l'achat de produits, pour un prix de 500 à 2000 francs, et pouvant aller jusqu'à 3000 francs. Il ajoutait faire ce produit lui-même, sans en préciser le contenu, en indiquant 'je ne sais pas ce qu'il y a dedans, c'est un secret'."
La défense du marabout
Pour sa défense, le marabout nie tout ce qu'il peut nier, par ex. les versements en espèces, sans reçu, n'ayant laissé aucune trace. Mais il avance aussi cet argument intéressant :
Il "sollicite sa relaxe, en faisant valoir que ses activités relevant de l'irrationnel, elles ne sauraient tomber sous le coup des dispositions en matière de publicité mensongère."
Eh Madame la cliente, on vous le dit depuis le début : tout ça, c'est de la magie ! Ça n'a rien de rationnel, dès le départ ! Vous voudriez tout de même pas qu'on aille en discuter devant un tribunal ?
Le jugement taille l'argument en pièces :
"Le prévenu ne saurait utilement invoquer le caractère irrationnel de l'activité considérée, pour en conclure que le délit, qui relève du droit de la consommation, ne s'y appliquerait pas, alors même que l'activité économique et les profits attendus et générés par cette activité n'ont, eux, rien d'irrationnels, d'où il suit que les activités de voyance et autres sciences occultes sont bien soumises au droit de la consommation en général, et aux dispositions applicables en matière de publicité mensongère en particulier. Le caractère irrationnel de l'annonce et plus généralement de l'activité exercée ne lui retire pas son caractère éventuellement mensonger, dès lors qu'il est avéré que cette annonce est destinée à tromper le lecteur, en lui faisant croire faussement en la certitude d'un résultat qui s'avère sinon chimérique du moins aléatoire."
Le marabout tente une autre approche :
"Il concluait en prétendant que si ses opérations magiques étaient demeurées infructueuses, c'est que Mme A n'avait pas fait comme il fallait."
Où l'on en revient à la liste des rituels invraisemblablement tarabiscotés, dans la seule optique de pouvoir imputer tout échec à la cliente elle-même.
- "porter un papier dans son soutien-gorge" : Qu'est-ce qui nous prouve qu'elle l'a bien porté ? Y a-t-il ici un témoin impartial qui a glissé tous les jours sa main dans le soutien-gorge de Madame afin de vérifier qu'elle suivait scrupuleusement sa prescription magiques ?
- "dire plusieurs fois son prénom et celui de son amant" : L'a-t-elle fait ? assez souvent ? assez fort ? sans écorcher son nom ?
- "manipuler devant lui un bout de pâte à modeler avant de le jeter dans la mer" : Qu'est-ce qui nous prouve qu'elle l'a bien jeté dans la mer ? N'était-ce pas plutôt dans un océan ? Ou une mare ?
- "ou bien dans une rivière" : Mais n'était-ce point plutôt un fleuve ?
- "tenir un objet brûlant dans ses mains" : Un objet brûlant, ça brûle, alors qui peut croire que la cliente a vraiment tenu cet objet en main ?
- "s'oindre matin et soir d'un 'médicament' pendant 7 jours" : Madame s'est-elle bien ointe ? Avait-elle seulement la moindre idée de ce que signifie le verbe oindre ?
- "un nouveau médicament, dont elle devait à nouveau s'enduire rituellement à des heures et selon des modalités précises" : Vous croyez vraiment que, pas une seule fois, elle ne s'est trompée d'horaire ? que pas une fois, elle n'a raté le moment de l'onction ? qu'elle a toujours respecté à 100% les modalités précises ? Le marabout est à 100% d'efficacité, mais la cliente doit l'être aussi, sinon ça marche pas.
Notons que ce type d'argumentation n'est pas réservé aux marabouts. Les crudivores naturopathes autoproclamés sont prompts à rejeter la faute sur leur client lorsque celui-ci décède (par refus de traitement conventionnel) : puisque le naturopathe donne des conseils infaillibles, la seule explication possible à la mort du patient est sa propre incompétence à appliquer les prescriptions : il a sûrement craqué sur un paquet de chips ou une barre de mars au lieu de se contenter du jus de topinambour froid, ou d'un jeûne total.
En conclusion
"Il est reproché" au marabout "d'avoir commis le délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, en effectuant une publicité présentant ses activités de marabout, comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, sur ses qualités et aptitudes, ce en alléguant que son travail de marabout était rapide et efficace à 100 %, garanti, dans un délai de 5 jours."
Le marabout "ne conteste en effet pas être l'auteur de la publicité incriminée, dans laquelle il offre ses services de marabout en garantissant un résultat infaillible dans un délai moyen de 5 jours, quelque soit le cas qui lui est soumis. Il convient de relever à cet égard que l'annonce insiste particulièrement sur l'efficacité du 'travail' proposé et la rapidité de son résultat infaillible, lesquelles apparaissent comme des arguments commerciaux essentiels, destinés à rallier la clientèle la plus large."
Depuis le temps que le Pr MÉGABAMBOU vous le dit : Attention avec ces histoires de "résultats garantis à 100%" ! Ça ne tient pas devant un tribunal ! Placez la barre à 99%, et le 1% vous sauvera (peut-être) la mise quand vous passerez devant le juge. Pensez-y ! Le jugement enfonce le clou :
"En l'espèce, il ressort des déclarations concordantes sur ce point, de la partie civile et de M. F, que les prestations de ce dernier ont été dispensées à plusieurs reprises, sur une longue période, sans avoir le résultat annoncé par le marabout et attendu par Mme A. L'absence de résultat certain de ses prestations n'est pas discutée par I F, qui a reconnu devant les enquêteurs que 'parfois cela marchait, et parfois non'. Ainsi, l'allégation fausse d'un résultat certain et garanti caractérise le délit de publicité mensongère, au sens de l'article L 121-1 du code de la consommation, qui lui est reproché."
Bah oui, "parfois ça marche, parfois non", ça n'est pas ce qu'on exprime en bon français par "résultats garantis 100%". Il s'agirait plutôt d'un exemple d'"hyperbole véridique", un concept promu par Donald Trump* (dans son livre The Art of the Deal**), c'est-à-dire, en résumé, un gros mensonge, mais que les gens aiment bien, et qui fait vendre.
Résultat des courses pour le marabout : "8 mois d'emprisonnement, dont 3 mois avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve d'une durée de 2 ans", "22867,35 euros à titre de dommages-intérêts", plus tout un tas de menues dépenses que le marabout aura sûrement un peu de mal à encaisser (du moins, à décaisser, en l'occurrence).
L'hyperbole véridique, ça marche chez les Yankees, mais pas dans le pays de Descartes et Montesquieu.
* Célèbre escroc américain qui a réussi pendant de longues années à se faire passer pour un homme politique au plus haut niveau, alors qu'il n'était qu'un vulgaire marabout.
** Livre en réalité écrit par un "nègre" littéraire pour le compte de Donald Trump, qui serait bien incapable d'une telle prouesse.